Nombre de lecteurs de cette article croiront peut-être que le titre de cet article est une galéjade comme les gens du Midi aiment raconter… non loin du rocher monégasque.
Pourtant il n’en est rien. Le Prince Rainier a réellement des attaches familiales à Givry où ses aïeux vécurent durant plus d’un siècle.
Pour les trouver, il faut remonter dans le temps de près d’un demi millénaire et se reporter au milieu du XVIème siècle, à la 13è génération de ses ancêtres, soit à un couple parmi les 4096 individus qui constituent à ce niveau son ascendance !
Mais d’abord, remontons encore un peu plus avant dans le temps, à une époque où la plus importante des exploitations agricoles de Givry était la Cour Saint-Pierre. Propriété de l’abbaye d’Hautmont, cette ferme couvrait une étendue considérable; n’aurait-elle pas exploité 210 bonniers de terres, soit un peu moins de 260 hectares ? La maison de cense, ses dépendances et son « courtil » occupaient à eux seuls 1 bonnier, soit environ 1,20 hectare.
Naturellement, le personnage qui dirigeait la Court Saint-Pierre était tout aussi important que sa ferme puisqu’il représentait l’abbaye à Givry et que celle-ci était le propriétaire foncier le mieux « possessionné » du village (400 hectares environ, soit un quart du territoire). Le censier de la Court agissait donc un peu comme le seigneur du lieu, d’autant qu’il devenait quasi automatiquement mayeur foncier pour les biens appartenant à l’abbaye.
A la fin du 15ème siècle, le mayeur d’Hautmont à Givry s’appelait Colard de Pusenghien dit Bauduin (Pusenghien est la francisation du toponyme Buizingen).
Sans doute était-il aussi l’occupant de la Court Saint-Pierre quoique nous sachions qu’en 1484, ce censier s’appelait Jean d’Erpion et que celui-ci, fort impécunieux, ne payait plus depuis un certain temps la rente qu’il devait au Chapitre de Sainte-Waudru à Mons.
Toutefois, Jean d’Erpion était justement décédé cette année-là, on peut penser que Colard de Pusenghien fut appelé à prendre sa place.
De sa femme, Waudru de Dinant, Colard de Pusenghien n’eut probablement pas de fils. Leur fille, prénommée Maigne, épousa Bertrand de Buisseret dit Remy qui descendait d’une famille tirant son origine de la seigneurie du même nom au village de Seneffe. Selon toute vraisemblance, Bertrand de Buisseret aurait un temps habité à Houdeng-Goegnies.
C’est en 1505 qu’on le retrouve cité pour la première fois à Givry, où il a succédé à son beau-père comme échevin puis mayeur de l’abbaye d’Hautmont. Naturellement, il est aussi censier de la Court Saint-Pierre.
Deux des fils de Bertrand de Buisseret et de Maigne de Pusenghien vont à leur tour profondément s’enraciner dans la terre givryenne puisque les descendants du premier, Martin, seront pendant plusieurs générations les censiers de la Court Saint-Pierre; tandis que les descendants du second, Bertrand, seront eux, et également durant plusieurs générations, les censiers de l’Esquerbion. Cette seconde ferme, appartenant également à l’abbaye d’Hautmont, était plus petite que la Court Saint-Pierre puisqu’elle n’aurait exploité que 150 bonniers, soit environ 180 hectares. Les deux familles cousines de la Court Saint-Pierre et de l’Esquerbion se partageront tour à tour le mayorat foncier d’Hautmont à Givry.
Même d’après les canons actuels, des fermes de 260 et 180 hectares sont des exploitations respectables. Que dire alors du 16ème siècle où les moyens de culture utilisés exigeaient une importante main d’oeuvre puisque la surface de terre labourable en un jour était censée être d’environ 40 ares ? Et encore, il fallait être un laboureur possédant charrue et chevaux ! Les autres, les « brassiers », mettaient un temps infiniment plus long à retourner leur champ à la pelle et ne pouvaient travailler que de petites parcelles. Certes, brassiers comme laboureurs, et surtout ces derniers, se devaient de respecter l’assolement triennal, rotation traditionnelle qui laissait chaque année en jachère environ un tiers de la superficie cultivée. Mais la mise en culture des deux autres royes, la première en froment ou en seigle, la seconde en avoine ou en orge, demandait beaucoup d’efforts et on imagine difficilement aujourd’hui ce que cela impliquait comme va-et-vient dans des fermes comme l’Esquerbion ou la Court Saint-Pierre, où chaque sole couvrait approximativement de 60 à 85 hectares.
Les deux fermes bruissaient donc en permanence d’ouvriers agricoles occupés à quantité de tâches et, de ce fait, les Buisseret se trouvaient à la tête de nombreuses responsabilités.
C’est, semble-t-il, parce que ces responsabilités étaient peut-être trop écrasantes en ces temps troublés, particulièrement pour l’exploitation des 260 hectares de la Court Saint-Pierre, que la ferme du Cartelage, d’une superficie de 60 bonniers, soit environ 75 hectares, fut créée un peu avant 1517. En effet, les inventaires des biens d’Hautmont datant de l’extrême fin du XIVème siècle ne la citent pas et elle apparaît parmi les biens gérés par les Buisseret dans la première moitié du XVIème siècle, sous le vocable de « nouvelle ferme ». En 1571, la ferme du Cartelage est d’ailleurs remise à neuf, ce qui lui donne une ancienneté de quelques dizaines d’années au moins et confirme que sa création doit dater du tout début du siècle.
Autrefois le cartelage était le droit du seigneur à toucher un quart de la récolte. Le nom choisi pour la nouvelle ferme confirmerait donc que ses terres, représentant approximativement un quart de la ferme initiale, ont été éclissées, c’est à dire séparées, du territoire de la Court Saint-Pierre. De cette manière, cette dernière aurait été réduite à une exploitation d’environ 180 hectares. Notons aussi que dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, les terres de la Court Saint-Pierre ne représentaient plus qu’un peu moins de 100 hectares ; conséquence de l’ordonnance prise en 1755, dans un but populationniste, par le Gouvernement central des Pays-Bas autrichiens. Celle-ci divisait en effet les grosses fermes et réduisait à 70 bonniers la surface qu’un seul fermier pouvait faire fructifier.